lundi 21 décembre 2015

LA PETITE SISYPHE


  
C’est, à l’intersection des deux axes partageant symétriquement le jardin, et précisément au centre du large bassin circulaire – comme une sagaie venue (mais quand ?) s’y planter, verticale toujours vibrante, l’empennage échevelé miroitant, fantasque, là-haut –  le jet d’eau.
Sa lutte est toujours à reprendre pour se tenir droit contre les ruades capricieuses du vent – le vent, qui secoue aussi la terre et, au pied de la margelle du bassin, accumule des monceaux de feuilles mortes.

Une enfant s’y précipite. C’est pour en ramasser toute une brassée : elle s’accroupit, et ratisse. Elle s’y reprend à deux, trois fois, pour en saisir autant qu’elle peut. Mais c’est comme remplir un vase sans fond : à chaque fois qu’elle se redresse, elle doit laisser échapper presque tout son trésor. A la fin, l’enfant se résigne ; elle n’en garde qu’une grosse poignée – ce que ses petites mains peuvent retenir.

Elle est juste assez grande pour que, s’élevant sur la pointe des pieds, ses épaules surplombent le rebord de la margelle. Voilà, tout ce qu’elle veut, c’est jeter dans le bassin, par une détente brutale de ses bras, d’un coup, toutes ces feuilles brûlées. Pour qu’elles s’y rafraîchissent ? Pour les voir se répandre en flottille sur l’eau verte et frissonnante ? Ou bien, pour les voir s’y noyer ?
Mais, de toute façon, comme elle fait face au vent contraire, à peine ouvre-t-elle les mains que toutes les feuilles s’en échappent, et c’est comme une envolée de moineaux minuscules, qui lui fouettent sa frimousse – que chiffonne la contrariété.

Mais, le sourire lui revient, aussi soudainement que le soleil se dégage des nuages à l’instant déportés par le vent : il a suffit qu’elle découvre, tapie au creux de sa petite main, une feuille. Une seule.
Ce n’est plus rien qu’une feuille, sauvée du désastre – mais l’on sait que, entre tous les êtres vivants, les moins obstinés ne sont pas à chercher parmi les petites filles...

Le père s’est rapproché. Sous son regard, à peine inquiet mais cependant attentif, la fillette se penche autant qu’elle peut pour, du bout des doigts, précautionneusement mais fermement, déposer cette feuille, unique, à la surface de l’eau, entre deux vaguelettes…
Et vogue le navire ?
Mais ! La petite nef aussitôt s’envole !


Le vent reste le plus fort.




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